Corps sacré - sacré corps

Bernard Andrieu — 10.04.2014

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Bien que le thème soit « Corps sacré – sacré corps », je me suis permis de poser une question sur laquelle nous allons justement retrouver la question du sacré et la question de la sacralisation du corps, autour d’une interrogation que vous avez traversée et qui est importante, puisque en France, il y a un groupe de recherche qui travaille sur Corps et techniques ;qui est un groupe important, qui se trouve à la Sorbonne et qui fait partie des sociologues qui travaillent sur cette question-là – donc bien évidemment, la relation entre le corps et la technique, c’est véritablement au cœur de ma réflexion même si, vous allez le voir, mes positions ne sont pas très tranchées et que j’ai une position qu’on appelle en philosophie « faible ». Je suis un être un peu faible, c’est-à-dire, j’ai des positions plutôt hybrides, plutôt mixtes et plutôt mélangées.Je suis plutôt dans le doute, dans l’interrogation, dans l’incertitude. Je me pose beaucoup de questions, même si certainement vous avez déjà les réponses. Il faut d’abord se cadrer du point de vue théorique. Le grand enjeu, finalement, de notre travail, c’est de travailler sur trois types de corps : Premièrement le corps perçu en troisième personne, c’est-à-dire le corps objectivé, diagnostiqué par la science, par la technique, qui pose le problème du réductionisme – c’est-à-dire est-ce que je peux réduire le corps subjectif au corps objectif ;et donc par exemple, si je prends la question de l’augmentation du déficit, ce diagnostic va nous servir au fur et à mesure à préciser les déficiences, les déficits, les manques, les carences, les difficultés.J’ai passé les trente premières années de ma vie à discuter le dialogue entre le rouge et le noir.C’est-à-dire le problème la différence entre le corps perçu en troisième personne, et le corps décrit par la personne, par le sujet ; dans une sorte de conflit très classique en philosophie entre l’objectivation par la technique et la subjectivité phénoménologique, le voir psychologique par le corps décrit par la personne.Ayant fait ma thèse sur la neurphilosophie et sur les neutosciences, et en particulier sur un courant très réductionniste qui s’appelle la neurophilosophie, je me suis aperçu qu’il n’y avait pas que le corps perçu, il n’y avait pas que le corps décrit, il y avait aussi le corps vivant. Vous direz, faire trente ans d’études pour en arriver à cette découverte ce n’est pas très honorable de ma part. Mais du point de vue scientifique ça l’est puisque finalement, aujourd’hui, nous savons qu’il y a des capacités du vivant qui ne sont pas perçues par le corps vécu. La thèse même que nous aurons à défendre ici, c’est que le corps vivant anticipe certainement la conscience que le sujet a de son propre corps, puisqu’on sait aujourd’hui qu’il y a un retard de 450 millisecondes entre ce qui se passe véritablement dans le corps vivant et la perception que nous avons de ce qui se passe dans notre corps. Et comme le disait mon directeur de laboratoire avant qu’il ne m’exclue de son laboratoire, « qu’est-ce qu’on en a à fiche finalement, puisque c’est inconscient, c’est sous-jacent, le corps vivant est invisible, il est en retard, on ne le perçoit pas directement sur la conscience, donc à quoi ça sert de l’étudier ! »Eh bien précisément, on va le voir, la question de l’augmentation vient aussi du fait qu’aujourd’hui nous savons qu’il y a une activation des neurones-miroir qui vient de l’empathie, qu’il y a de l’interaction, qu’il y a une écologisation du corps quasiment immédiate, qu’il y a une capacité du vivant, comme dans les cellules-souche, à pouvoir s’adapter à un milieu nouveau, et que donc finalement, la connaissance que nous avons de notre corps est une connaissance extrêmement limitée, définie par la culture dans laquelle nous avons été élevés, qui est le résultat des techniques que nous avons incorporées – pour reprendre le terme de Marcel Mauss de 1934 – et que donc ce qui va compter dans cette schématisation, c’est les petits pointillés, c’est-à-dire le fait qu’il y a un écart, qu’il y a une discontinuité entre ces différents niveaux. Bien sûr, un certain nombre de personnes qui ont parlé avant moi dans ce séminaire ont expliqué qu’on pouvait réduire un niveau à un autre, que tout ça allait être réglé. Qu’on allait pouvoir résoudre le noir dans le bleu, on peut résoudre le noir dans le rouge etc. suivant les différentes positions que vous avez de post-humanistes, transhumanistes, réductionnistes, matérialistes etc.Comme je reste plutôt un épistémologue, je m’interroge sur la façon dont on parle du corps ; Moi je maintiens plutôt les trois dimensions, et je vais essayer de vous en montrer aujourd’hui la complexité et l’interrogation. Le premier problème que nous avons c’est que aujourd’hui, – c’est la thèse que j’ai développée dans l’ouvrage sur Devenir hybride et que j’ai repris dans Les Avatars – c’est que nous avons un corps qui est multi fonctionnel. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, le problème que nous avons, c’est que nous allons pouvoir augmenter nos capacités parce que nous pouvons intervenir à différents niveaux dans les fonctions de notre corps. Soit, effectivement, l’apprentissage – donc aspect de l’ordinateur avec internet, avec les réseaux ;on s’aperçoit que le modèle de réseau qui avait été pensé est un modèle tout à fait pertinent pour penser l’idée que l’apprentissage c’est avec un Nest, c’est avec des réseaux, c’est une complexité. Deuxième problème, la motricité. Aujourd’hui, les travaux sur la robotisation, sur la télé-médecine, sur la télé-action etc, font qu’on a une compréhension de cette motricité qui est non seulement analytique, mais qui va même jusqu’à la pré-motricité, c’est-à-dire qu’on est capables de repérer un certain nombre de gestes qui sont dans le corps et qui sont pré-moteurs ; grâce à l’activation et aux neuro-sciences in vivo qui nous permettent de voir ce qui se passe dans le cerveau. On voit le drame que ça pose du point de vue de l’évaluation par exemple des gens qui sont dans le coma. Vous avez suivi non seulement l’affaire Schumacher, mais surtout l’affaire Vincent Lambert, en France, où on ne sait plus très bien ce qu’on va faire d’une personne qui est dans un coma, qui manifeste un certain type d’activité, mais qui n’a pas l’activité motrice.Vous voyez donc que derrière, la question de la conscience est tout à fait importante. Troisième problème – que nous avons développé à travers le volume que nous avons publié à L’Age d’homme sur l’éthique du sport, auquel François Félix a participé avec plus de quatre-vingt collègues, un volume européen – qui est la question de la performance. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, l’agence mondiale de l’anti-dopage est d’une inefficacité rare, puisqu’elle en coince 2-3 et les mets en scène, mais finalement, aujourd’hui, tout le monde est dopé. Le dopage est complètement généralisé, et donc dire « cette année, je vous rassure, le tour de Suisse – excusez-moi, le tour de France – sera propre », ça va commencer à monter en pression… on va voir le retour du commentateur ex-dopé Jean Lambert qui va venir nous dire « oui mais quand même, c’était pas pareil, c’est pas la même période… » etc. Donc « cette année nous allons avoir un tour propre ». Bon, tout ça, c’est que des bêtises. Pour des raisons fondamentales, c’est que les conditions d’entraînement, l’augmentation de la charge, le développement du matériel etc, fait que non seulement on a un dopage technologique, mais on a un dopage de toute façon pour supporter l’effort.Troisième aspect, je vous l’avais dit, je suis très attaché à la question du handicap, pour des raisons historiques familiales, cette question du handicap, du cyborg, de la santé, étape absolument centrale. Vous avez vu la petite gaffe du nouveau ministère en France : on a eu un ministre des affaires sociales, le mot « santé » avait disparu, Ça a été l’émeute pendant un quart d’heure il n’y avait plus de ministre de la santé, donc on a appris tout à l’heure avec François Félix en regardant BFM que nous avons enfin un secrétariat d’état à la santé, au handicap et à la dépendance.Mais tout ça avait été fondu dans les affaires sociales. Pour vous dire que là aussi, la question, je vais vous présenter quelques exemples.Alors quelle est la thèse que je vais défendre ? Une thèse « faible », je vous montrerai où je me situe. Je me situe dans le rouge, c’est ce qu’on appelle une thèse très très faible en philosophie, nous sommes très minoritaires. D’un côté, vous avez les transhumains qui estiment qu’il y a une auto-évolution du vivant, que finalement, on peut, par la biologie synthétique, par les OGM, provoquer des modifications, ils ont donc pris la voie essentiellement biologique, génétique. Et puis vous avez les post-humains qui eux, au contraire, vont prendre la voie de la déshumanisation, de la décorporéisation, de l’externéisation complète du corps, avec l’idée qu’on va passer directement sur ordinateur, sur le réseau, etc. Nous, c’est pas très brillant, on a une thèse mixte, intermédiaire, qui est la question de l’hybridation c’est-à-dire que nous pensons, au contraire, que l’avenir c’est putôt l’hybridation des systèmes biologiques et des systèmes technologiques. L’abandon des systèmes biologiques, c’est un rêve prométhéen d’immortalité, mais de toute façon, on va plutôt hybrider (par la bionique, par l’activation, etc.) le corps biologique avec des techniques qui vont permettre de l’augmenter. C’est une éthique de la mixité. C’est-à-dire l’idée finalement que la question de la médecine réparatrice peut faire disparaître la catégorie du handicap, mais elle ne fera pas disparaître les personnes handicapées. C’est-à-dire – et c’est là la différence avec Butler et Preciado, le courant des constructivistes gender – c’est pas parce que vous éliminez une catégorie que vous avez résolu le problème. Bien sûr qu’il faut critiquer la catégorisation, mais dans une certaine mesure, le vrai problème, c’est comment une société va accepter – par exemple au Etats-Unis, je prends un exemple concret qui est la question de l’amputation du diabète : on estime que d’ici 2020 il y a trois millions de personnes qui vont être amputées d’une partie de la jambe en bas, et équipés d’une protèse. Vous imaginez le marché pour la société Ossur, qui a financé les protèses d’Oscar Pistorius avant qu’il ne tue sa femme… Il y a un marché économique colossal, mais surtout, comment on va appeler ces gens-là ?Est-ce que ces gens-là vont être des personnes handicapées ? Est-ce que ça va être des personnes « prothésées » ? Est-ce que ça va être des personnes « augmentées » ? De plus en plus, on va voir apparaître des prothèses qui posent le problème de la mixité, c’est-à-dire d’un côté on va avoir une mixité sociale beaucoup plus grande des personnes en situation de handicap, et de celle qui sont en situation d’amélioration. Comment vais-je faire la différence entre quelqu’un qui est en situation d’amélioration, et quelqu’un qui est en situation de handicap ? Est-ce une différence de degré, de nature, d’allocation, de place de parking, de mobilité ? Je vous rappelle que la France vient de retarder l’accessibilité des personnes handicapées à 2025. Parce que Jacques Chirac l’avait posée pour 2015, mais là le gouvernement a une sorte de lucidité, il dit « c’est pas grave, ils accèderont en 2022 », donc on n’a toujours pas d’accessibilité généralisée.Deuxième problème, la mixité interne. Si vous mettez de la technique dans le corps, vous êtes confronté à des techniques d’hybridation entre le système biologique et les compléments technologiques, ce qui pose le problème de la compatibilité, de la panne. De quoi est mort le greffé du cœur ? Il est mort, parce qu’il y a eu un bug technologique à l’intérieur du cœur, c’est-à-dire une panne. Vous pouvez vivre 96 jours supplémentaires, il n’y a pas de problème – il a vécu 96 jours supplémentaires, et encore, on ne sait pas encore trop les conditions dans lesquelles il a vécu. Il a vécu 96 jours, mais il est mort, parce que ça renforce sa dépendance technologique. À partir du moment où vous avez un organe qui dépend entièrement d’une technologie, vous dépendez de la qualité de cette technologie. Donc les gens qui nous disent « le post-humanisme, le transhumanisme, c’est génial, ça va être un progrès merveilleux, on va résoudre tous les problémes ». Moi je vais vous présenter dans une deuxième partie de mon exposé quelques exemples très concrets, vous allez voir que les problèmes sont loin d’être résolus. Parce que quand vous commencez à greffer un système technologique avec un système biologique, vous avez de plein de problèmes identitaires, non seulement psychologiques, pour reprendre le thème de Jean-Luc Nancy sur la question de l’intrus ; mais aussi de compatibilité. Et la question, bien évidemment, c’est la mixité relationnelle. La mixité relationnelle entre soi, les autres, les réseaux, les machines ; ce qui fait qu’aujourd’hui dans une journée, je suis… voilà, il faut arrêter de développer la technophobie, de dire « oh lala, les adolescents s’enferment dans leur réseau ». Mais travaillez 5 minutes sur ce qu’ils font réellement sur les réseaux, vous allez apercevoir qu’ils ne sont pas tout seuls. Ils communiquent, ils sont dans des réseaux, ils font des choses, etc. Je ne suis pas technophile à 100%, mais je ne suis certainement pas technophone.Nous en France – en Suisse c’est pas pareil, puisque vous avez des gens qui ont beaucoup réfléchi – mais en France, vous avez des moralistes toutes les 5 minutes qui nous font des papiers en nous disant « attention, les adolescents sont en danger, il y a de l’addiction ». Bien sûr qu’il y a de l’addiction, mais en même temps, qu’est-ce que c’est que cette mixité relationnelle entre l’homme et la machine ? C’est ça qu’il faut repenser.C’est pour ça que ce terme de « devenir hybride », qui est un terme introduit par Deleuze et Guattari dans Rhisome, qui est la suite de L’anti-oedipe, Deleuze et Guattari disait bien « attention, il ne s’agit pas d’être hybride. Ce n’est pas un niveau ontologique à atteindre. Il s’agit de rester dans un devenir, dans un process. C’est-à-dire dans l’idée que c’est instable, c’est un fluide, c’est quelque chose que je peux partager en commun entre moi et l’autre, entre moi et la machine, entre moi et le réseau, entre mon corps et la technique ; mais la question d’attribuer une part (dire qui est moi, qui est l’autre ? qui est mon corps, qui est la machine ?) on est vraiment dans une identité provisoire. Aujourd’hui, nous sommes dans une identité provisoire, recomposable, incertaine, éphémère, je dois toujours reconnecter, etc. C’est effectivement une norme qui est culturellement instable. Et on voit bien – en France nous sommes des grands spécialistes du Front National – comment la réaction identitaire va progresser. Face à l’instabilité et l’incertitude, la reconnexion, la mobilité sans cesse, la recomposition des identités, finalement les gens vont rechercher des identités extrêmement stables, qui refusent l’autre, qui refusent l’étranger, etc. Cela ne pourra aller que en progressant. Parce que c’est la peur, c’est très perturbant.Donc ce jeu identitaire – ici l’image du magnifique film Avatar que vous avez tous vus, qui pose la question du jeu identitaire avec les limites et du fait que (l’interprétation de la fin du film) finalement on va pouvoir changer de corps, passer dans le corps de l’avatar, dans une sorte de métanpsychose ; on attend la suite, Cameron est en train de tourner les deux prochains épisodes ) – la question est que là, on se confronte à une altération de nos repères, de notre altérité, et avec une nouvelle mythologie. La question de la résurrection de mon corps dans un corps qui serait identique, ça ne correspond pas à cet imaginaire-là. Là, on est dans un imaginaire de la mutation, du changement d’identité, du changement d’état, etc.Si on essaie de situer ça d’un point de vue éthique, on voit que les grands courants qui sont apparus depuis les années 90 – le Gender, le Queer, le Cyborg, les Hybrides – défendent des éthiques qui sont légèrement différentes. Une éthique du Queer qui pose le problème de la répartition, de la dénaturalisation des rapports de sexe pour essayer de poser la question de l’égalité du genre, c’est complètement d’une éthique Queer, qui elle au contraire va mettre en avant une éthique de la diversité, c’est-à-dire une éthique de la singularité de l’identité de chacun.Alors que le Cyborg pose le problème de l’éthique et de l’identité. Est-ce que le Cyborg c’est pareil que le corps humain ? Est-ce que je vais être remplacé par des robots ? Est-ce que je vais conserver un corps humains ? Il y a toute une interrogation sur ça. L’hybridité s’inscrit dans le postcolonialisme, dans le métissage, dans toutes les cultures Old Studies, c’est-à-dire l’idée que nous sommes des sujets multiples. Ce qui n’est pas simple non plus, puisque – je reprends un grand texte qui m’a marqué dans ma formation, c’est le texte de Platon Le Phèdre, vous l’avez tous lu, qui pose ce problème de la mixité ontologique, un texte tout à fait remarquable de Platon, qui dit que – c’est difficile de savoir quelle est la part de l’un ou la part de l’autre. Je vais vous montrer quelques exemples.Un des premiers exemples (j’ai fait un chapitre dans l’éthique du sport, c’était sur les sportifs handicapés américains). Quand j’ai vu cette photo, je me suis aperçu qu’il y avait un gars qui était un peu handicapé qui courait avec une autre personne. Je vous laisse deviner qui était l’handicapé de l’autre. En réalité, dans cette question (une image tout à fait américaine, en France, bien que nous ayons des présidents qui fassent beaucoup de footing, nous n’avons jamais vu une image comme ça). Alors je l’explique dans le travail : qu’est-ce que je fais des personnes qui sont hybridées ? Des personnes qui sont prothésées, des personnes qui finalement ne sont pas handicapées ? Je ne veux pas les présenter commes des handicapées, je dois essayer de poser la question de la visibilité. Cette question de la visibilité, elle pose le problème de l’acceptabilité sociale. Le président Bush va mettre en scène ses soldats qui sont amputés, qui courent avec lui – ça c’est la Maison Blanche, je ne vous montre pas l’ensemble du pour et le contre – dans un contexte de récupération idéologique, et surtout de peur d’éviter le Viêtnam, de ne pas revivre des personnes dans des caisses qui traversent les Etats-Unis pour réclamer des pensions, ou des gens dans des fauteuils qui vont protester contre la guerre. Vous voyez que l’idée, c’est qu’on va s’emparer d’un progrès technologique pour reposer la question du corps social. Quel corps social on veut ? Parce que vous pouvez toujours chercher un soldat prothésé français – d’abord, les soldats prothésés français sont inaccessibles, on ne peut pas les voir, il n’y a pas un article dans Le Monde paru l’année dernière où on voit un soldat prothésé ; mais en Afghanistan, on n’a pas de morts, on n’a pas de blessés, nous on a ds super-soldats, pas vrai… donc ils sont invisibles, simplement. D’un côté on peut dire « c’est lamentable, c’est une récupération ». Mais l’interrogation qui est derrière ça, c’est quelle est notre conception du corps social ? Qu’est-ce que je fais de l’évolution technologique ? Parce que de l’autre côté, la photo qui est à droite est tout à fait scandaleuse. Vous avez aujourd’hui des personnes qui sont handicapées, qui posent dans le Play Boy, qui font des campagnes publicitaires. Cette visibilisation va s’augmenter. Est-ce que je peux dire que cette très belle personne qui est en train de poser, c’est une personne handicapée ? Parce je vais la stigmatiser en tant que tel. Ou est-ce que précisément, par la photographie, par l’érotisation, par la mise en images, par le discours que je vais tenir dessus, je vais poser la question de « qui c’est ça ? un monstre ? dans quelle catégorie je vais le mettre ? ». Donc ces problèmes de catégorisation.Par exemple, prenons le cas d’Isabelle Dinoire. C’est donc cette française qui a été dévorée par son chien un soir de solitude, de dépression et d’alcoolisme ; elle s’est fait dévorer tout le visage par son chien. C’est la première greffée du visage totale. Vous voyez donc greffée la totalité de son visage, grâce à un don dont elle a bénéficié.Et Isabelle Dinoire, dans un magazine scientifique que je lis régulièrement et qui est extrêmement difficile à se procurer et qui s’appelle « Elle », a accordé un seul interview dans « Elle » à Noel Stattle, puisque Noel Stattle a fait un livre avec elle, où elle dit : « finalement, mon problème, c’est que j’ai trois identités. J’ai toujours ma carte d’identité où j’ai toujours le visage que j’avais avant, et je ne veux pas changer de carte d’identité, parce que si je change, je vais perdre le souvenir du visage que j’avais avant. Mais en même temps, je ne peux plus avoir ce visage. Donc est-ce que ce visage, c’est véritablement le mien ? et j’ai un deuxième visage de quand j’ai été dévorée » – je vous passe les détails, je ne vous montre pas les photos du visage dévoré, je les ai vues parce que je suis allé dans le service, on a fait un colloque sur ça, c’était pas beau à voir – « et puis j’ai un troisième visage, qui est le visage recomposé, hybride qui est maintenant mon visage. Mais est-ce que c’est mon visage ? ma nouvelle identité ? ». Le problème des hybrides, c’est qu’ils vont être obligés de recomposer avec plusieurs identités. Ils n’arrivent pas à effacer une identité pour en remplacer une autre. Les post-humains, eux, n’ont pas de problèmes. Ils vous disent « allez les gars, on se débarasse du corps biologique, on efface tout ça, et on va passer directement au truc ». C’est magifique, mais c’est pas possible. Il n’y aucun être humain, à moins de lui effacer la mémoire cérébrale totale et de lui mettre une nouvelle mémoire, qui puisse ne pas se poser le problème de la reconfirguration et de la multiplicité identitaire.Par exemple, les imprimantes 3D, vous savez tous ce que c’est.Le problème est le suivant : ici, cet enfant, son père va lui acheter une imprimante 3D, et va lui fabriquer sa propre prothèse. Tout ça pour 115 Euros. Pour une prothèse qui va l’aider – bien sûr c’est pas une prothèse très fine, etc. C’est un peu le même problème que le handicap international. L’idée, c’est qu’on va aujourd’hui se poser la question de l’utilisation par les personnes privées, par de micro-sociétés, de ces techniques ; pour améliorer leur propre corps. C’est ce que j’ai appelé l’ « auto-santé ». La dérive libérale de l’utilisation de la technique, c’est que quelqu’un est capable aujourd’hui – j’étais à Lyon à l’Ecole Normale, ils ont 25 étudiants qui ne travaillent que sur des projets autour des imprimantes 3D, et ils sont en train de définir de nouveaux marchés. Et ces nouveaux marchés, c’est quoi, c’est le service de proximité, c’est la capacité de permettre aux gens de fabriquer des objets à leur convenance. C’est donc une personalisation de la technique qui est en train de bouleverser complètement la relation au corps, et notamment aux produits standards. C’est-à-dire que vous n’aurez plus de produits standards, vous aurez des produits personnalisés, et individualisés. Bien sûr, c’est le début, tout le monde n’a pas d’imprimante 3D chez lui. Mais on voit très bien les conséquences que cela va avoir. On est confrontés à des individus qui vont être en capacité de créer une économie de proximité qui va permettre de résoudre des problèmes corporels qu’ils ne pourraient pas résoudre s’ils passaient par les voies traditionnelles. Par exemple le coût d’une prothèse serait beaucoup trop élevé, alors là, on peut arriver à trouver des solutions.C’est à la fois un facteur d’optimisme, et un facteur de problèmes considérables. Puisque la question qui se pose c’est la rébelisation, le contrôle, l’autp-prescription, l’auto-médication, etc. D’un côté le corps va être amélioré, mais d’un autre côté, on va être confronté à une situation beaucoup plus problématique. Autre conséquences de ce rapport entre Corps et techniques, qui va encore plus accentuer – puisqu’on va parler tout à l’heure d’Occulus qui a été racheté par facebook ;La question, on la voyait déjà avec la wii, de la disparition progressive du clavier, du joystick, de ce qui permet de faire l’interface, fait que c’est notre propre corps qui va être implémenté par des bracelets susceptibles de lire notre propre santé. Aujourd’hui, vous avez des bracelets qui vous permettent de savoir quelle est votre pulsation, etc. Ici, vous avez des bracelets qui vont nous permettre d’agir directement sur les écrans. On va avoir l’idée que c’est notre propre corps qui est dans l’interface. On va mettre sur notre corps des médiations, et il y aurait une sorte de continuum technologique entre notre corps, équipé, et l’écran. Pour le moment, on est à l’écran tactile, dans 10 ans, on va être sur une lecture du mouvement direct par l’écran, etc. Ça pose le problème à la fois de la décorporéisation physique du contact (c’est ce que j’avais développé dans le livre sur le toucher), on va s’éloigner progressivement du contact tactile direct, et on va passer par des interfaces technologiques pour développer un autre type de contact qui sera un contact du virtuel sur le corps physique, ou du corps physique sur le virtuel. Et cela nous oblige à redéfinir ce qu’est le toucher. Est-ce que le toucher est simplement une expérience physique, ou c’est aussi une expérience de médiation ? Ici, vous avez une personne qui est handicapée mais, vous le voyez sur sa tête, elle a des implants qui sont implémentés dans son cerveau. Cette personne est tétraplégique, elle ne peut pas bouger. Si je la catégorise dans la catégorie handicap, elle est dans fauteuil, et ne peut agir aucunement sur son environnement. Or aujourd’hui, grâce aux interfaces brain machines – ça ne vaut pas pour tout le monde, mais ça permet, déjà conceptuellement, de débloquer la situation ;Cela veut dire qu’aujourd’hui, une personne qui a une mobilité réduite, une personne qui est bloquée dans son lit, qui est à distance va pouvoir commander(son système biologique, c’est-à-dire son cerveau va commander) par une traduction ou par un ordinateur, un robot, un bras, un ordinateur, une action, un téléphone, un signal, etc. Quelle est la loi sur la dépendance qui est en train de se développer en France ? J’ai appris que la secrétaire d’état a été virée, mais bon, elle a quand même eu le temps de faire la loi. Qu’est-ce qui va se passer pour notre génération ? Quand j’aurai 70 ans, c’est-à-dire dans pas longtemps. On va me dire « Monsieur Andrieu, vous allez rester chez vous, mais on a une société de services qui va vous mettre plein de petits capteurs sur vos bras, sur votre corps, dans votre appartement etc, pour 150 Euros par mois, et vous allez être télé-surveillé ». Je vais être télé-surveillé à distance, ça coûtera moins cher au social, je resterai dans mon appartement, et en même temps je pourrai agir, quelles que soient mes capacités physiques. Si je suis grabataire chez moi, je pourrai continuer à agir dans une interface sociale. Donc là aussi, les effets technologiques vont modifier complètement la question du vieillissement. Être une personne vieille, qu’est-ce-que ça veut dire ?Dans 20-30 ans, qu’est-ce que ça va vouloir dire d’être une personne âgée ? Une personne qui ne peut même pas communiquer ? C’est une personne qui ne peut pas bouger ? Et pourquoi il faudrait bouger ? Si moi je peux faire bouger le monde autour de moi ?Est-ce que la motricité, c’est véritablement le critère de l’autonomie ? Et qu’est-ce que c’est que l’autonomie ? La technique est en train de bouleverser ce concept d’autonomie.Vous savez combien fait de mètres une personne âgée autour de chez elle ? 450 mètres en moyenne.Pour aller chercher le pain, le journal… je parle d’une personne de 75-80 ans… en France. Ici en Suisse, vous êtes beaucoup plus dynamiques, évidemment. Mais en France, voilà la moyenne.Donc ça veut dire quoi ? ça veut dire qu’être autonome, ça veut dire que je suis capable de prendre ma voiture à 85 ans, et d’aller en Angleterre avec ma voiture. C’est à dire à ma mère que peut-être, il fallait pas arrêter de prendre la voiture et traverser toute la France pour aller en Angleterre. Vous pouvez prendre le train. Mais c’est très difficile ! Quelqu’un qui est autonome physiquement, il se sent fort… Mais on va plus avoir besoin de faire ça. Demain, qu’est-ce qui va se passer ? Je vous montre ça, c’est extraordinaire. C’est les travaux de Jean-Philippe Lachaux sur les épileptiques à Lyon. Il a écrit un livre extraordinaire qui s’appelle « Le cerveau attentif ». On appelle ça le neuro-feedback.Herbert Feigl est un philosophe en 1958, qui a inventé un concept qui s’appelle l’auto-cérébroscopie. Il croyait qu’il y avait une machine qui permettrait de voir son cerveau pendant qu’on était en train de penser. En 1958. Carnap lui dit « bon écoute, arrête tes conneries, le problème est réglé, ça n’arrivera jamais… ». Qu’est-ce qui se passe aujourd’hui ? Aujourd’hui, un patient épileptique, il est capables, grâce aux implants qu’on lui met dans le cerveau, il est capable de voir les courbes de son propre cerveau. Et dans une activité d’auto-régulation. Les patients qui voient les courbes de leur propre cerveau sont capables par neuro-feedback de prendre conscience de quand ils vont avoir des crises d’épilepsie. Ils ont une connaissance de leur corps vivant. Est-ce que vous voyez le saut technologique ?!Jusqu’à maintenant, la connaissance directe du corps vivant n’existait pas. Elle était invisible. J’allais voir mon médecin pour qu’il me dise pourquoi j’étais malade. Aujourd’hui, dans 20 ans, vous allez avoir la possibilité d’utiliser ces techniques pour avoir un autre rapport à votre vie. Vous saurez votre taux de diabète, vous serez capable d’avoir pleine information sur votre corps vivant. Qui est-ce qui va donner une formation aux gens sur ça ? Où est-ce que vous voyez qu’on donne une formation aux gens sur ça ? Il n’y a aucune formation. Les gens vont être confrontés à l’auto-prescription, à l’auto-médication, etc. Le vrai enjeu technologique, c’est finalement que nous n’avons pas de formation du rapport entre le corps vécu et le corps vivant. Nous n’avons pas de formation aujourd’hui. Ce que nous enseignons aux gens, c’est à raconter leur corps vécu. Ça c’est la philologie, la psychanalyse, la psychologie, l’introspection, le langage. Il faut parler, et une fois que vous avez parlé, vous avez résolu le problème. Certes, au plan symbolique, mais le saut technologique dans lequel nous sommes, c’est que là nous sommes dans une articulation entre le vécu et le vivant. C’est-à-dire, nous allons avoir des individus qui sont susceptibles de voir l’activité de leur vivant, alors que jusque-là ils l’ignoraient. Et ça, ça va bouleverser beaucoup la réflexion.Enfin, un saut technologique majeur, c’est la bionique. La bionique, c’est quoi ? C’est le fait, je cite Claudia Mitchell, qui est une des pionnières de la bionique. Ça consiste à actionner sa protèse par sa pensée. Par le système biologique.Mon grand-père, qui a été amputé trois jours avant l’armistice près de Verdun et qui donc – avec toutes ces générations, ils se sont tapés des prothèses mécaniques, où ils mettaient leur jambe le matin, pour mettre la prothèse, je l’entends encore, le bruit de la prothèse, sur le parquet de la maison de Toulouse puisque je dormais en-dessous de sa chambre, donc je l’entendais mettre la prothèse, j’étais enfant à ce moment-là. Eh bien toutes ces générations-là, c’est terminé. On peut avoir des protèses, mais aujourd’hui ça coûte – je vous rassure – 350 000 Euros, la protèse de Mitchell. Tout ça, c’est des protocoles.Mais ça nous dit quoi ? ça nous dit finalement qu’en réalité, le divorce entre le système chirurgical et le système électronique, informatique, etc ; c’est un divorce qui tend à diminuer. Et donc qui pose le problème de l’incorporation de la technique. Quand Marcel Mauss écrit les techniques du corps et qu’il dit « On incorpore les techniques du corps », il dit « On les incorpore par l’exercice ». On les incorpore par l’apprentissage. Mais là, ce n’est plus simplement ça. Claudia Mitchell, elle passe des heures à essayer de contrôler son bras bionique. Il faut qu’elle recalibre son schéma corporel. Parce que mon grand-père sort de sa chambre, c’est pas un problème, il a toujours son schéma corporel. Là, c’est plus le même problème. Là, le schéma corporel est recomposé par l’action du système de logique sur le système technologique, et le feedback.C’est une équipe suisse, donc je m’agenouille, puisqu’on dit qu’il faut mettre en avant la recherche suisse. C’est l’école polytechnique fédérale de Lausanne. Donc je dis bien dans le micro pour que ce soit enregistré ;-) À Lausanne, vous êtes au top, voilà ce qui font… Je sais pas si ça peut choquer la sensibilité des plus jeunes, mais c’est ça qu’on repère. La réhabilitation, elle passe par une neuro-protèse, donc l’interface est implémentée à l’intérieur du système nerveux et périphérique, et donc on peut – par exemple, regardez le logo de ce projet, qui s’appelle « Re walk ». C’est-à-dire qu’on va refaire marcher les gens – pas tous les gens bien évidemment, car tout le monde ne peut pas avoir accès à cette technique, pas seulement d’un point de vue économique – mais ça pose le problème de savoir qu’est-ce que c’est que la locomotion, qu’est-ce que c’est que la motricité. Est-ce que je dois absolument faire re-marcher quelqu’un à partir du moment où je vais avoir une neuro-protèse ? Est-ce que le critère de l’humanité c’est la marche ? C’est le même problème que vous avez avec les sourds et les aveugles : est-ce que les sourds doivent être implémentés, est-ce qu’ils doivent parler ? Dans ce cas-là, vous avez deux attitudes : les communautaristes qui vont dire « nous on veut que nos enfants soient sourds, parce que de toute façon ils vivent dans une communauté de sourds et les sortir de la communauté… voilà », et d’autres qui disent au contraire « voilà, ça va être des êtres hybrides, ils seront capables de parler plusieurs langues, etc ». Donc on voit la nature du problème.Autre problème qui va se poser, c’est la question de la télé-survivance. J’étais allé chez des amis belges ; la thèse de l’hybridité chez certains postfoucaliens, ça passe pas du tout. Puisque « Andrieu ne fait que cautionner le libéralisme technologique et le biopouvoir ». Ce qui est vrai ! À partir du moment où on vous met un implant, voyez, c’est fini, de rentrer en boîte de nuit à Barcelone. On va lui mettre des implants sous-cutanés, et on va la scanner pour marcher. Mais à partir du moment où vous avez une puce, déjà, vous avez un téléphone portable, donc vous êtes traçable. À partir de ce moment-là, la question de la différence entre la vie privé et la vie publique, entre l’accessibilité à l’identité personnelle et la diffusion de cette identité – le télé-contrôle des individus.Aujourd’hui, un sportif de haut niveau n’a plus de vie privée. Il doit être localisable 24h/24, parce qu’il est soupçonné de se doper. L’Agence Mondiale Antidopage est en train de faire passer un texte pour qu’elle puisse être autorisée à pénétrer chez les sportifs entre minuit et 8h du matin. Donc Nadal et Federer – quelques mots de notre ami Federer – ont dit « ça suffit, on ne peut pas être télé-contrôlés en permanence, on a aussi droit à une identité ». Donc la question des limites, des frontières, va se poser de manière extrêmement sévère ; les foucaliens ont raison de souligner que le bio-pouvoir s’est transformé.Toutes ces choses qui sont des ordinateurs portables, des patches – tous ces patches qu’on doit mettre sur le corps – sont des systèmes de télé-contrôles à distance.Je terminerai par les travaux de Romain Chambrant sur les membres fantômes.Les gens qui sont amputés, comme mon grand-père par exemple, sont des gens qui ont souffert toute leur vie de la douleur du membre fantôme. C’est-à-dire que le schéma corporel conserve l’information dans le corps global, et il cherche la référence sensorielle qui va permettre de valider ou d’invalider cette information. Et ce que a testé Ramachandran, c’est l’idée de tromper son cerveau ; qui est une vieille idée philosophique qui consiste à faire croire au cerveau qu’on a retrouvé le deuxième membre. Donc il invente une boîte à miroir, dont vous voyez ici le dispositif, avec la personne qui regarde, elle se penche de l’autre côté pour voir qu’elle a deux bras. Vous me direz « attend ça peut pas marcher »… oui, ça peut pas marcher si vous vous placez du point de vue de la conscience du vécu. Mais le corps, ce n’est pas que la conscience du vécu, c’est aussi un organisme vivant, c’est aussi un système visuel, c’est aussi une référence sensorielle, c’est-à-dire c’est un système sous-jacent implicite qui continue à percevoir de l’information. Eh bien nous avons un taux de succès de 33%-35%, c’est pas 100%, il faut recommencer l’opération. On ne trompe pas son cerveau…Ça veut dire quoi tout ça ? ça veut dire que finalement, on va être obligé de composer avec deux systèmes en permanence : Le système de la conscience du corps vécu, et le système du corps vivant, qui lui continue à capter de l’information, continue à être activé, continue à produire de l’adaptation.Aujourd’hui, nous savons majoritairement que ça existe, grâce aux techniques qui se sont développées. Et donc cela a posé problème. Il y a un dédoublement de la question de la connaissance de soi, par ces techniques : non seulement nous avons une connaissance par la conscience, mais nous sommes confrontés à un corps vivant qui connaît le monde, comme disait Merleau-Ponty, c’est une connaissance par-corps, qui est immédiate. La connaissance par-corps, ce n’est pas la connaissance du corps, dit Merleau-Ponty – je me renvoie ici au texte des manuels de Saint-Aubert, le quatrième tome vient de paraître chez Vrin, sur les notes de Merleau-Ponty. Merleau-Ponty montre dans ses notes que lorsqu’il décrivait non pas le visible et l’invisible (c’est pas le titre du livre mais c’est corps et monde), il montrait que le corps pouvait avoir une connaissance immédiate, une connaissance par-corps, avec une écologisation. Et que ça n’a rien à voir avec la connaissance du corps, c’est-à-dire une connaissance consciente. Voilà, autre expérience que fait Olaf Blanquet, c’est un chercheur suisse, vous avez peut-être entendu parler. Olaf Blanquet, qui va développer un des systèmes de décorporation, par exemple en utilisant cette stratégie très expérimentale, où on a un participant qui voit à l’intérieur de ses lunettes un avatar qui est devant lui, un mannequin qui est lui-même équipé de lunettes, et quand on va toucher le dos du mannequin, le contenu de ce que voit le participant, c’est le contenu de ce que ressent le mannequin. C’est-à-dire qu’on va créer des illusions sensorielles.Donc le véritable problème, c’est l’origine de la référence sensorielle. Si nous branchions notre corps sur une machine ou sur un autre corps, ou si nous le branchions directement comme les personnes épileptiques qui regardent leur propre cerveau, nous aurions une autre connaissance de notre corps.C’est ça le grand défi de la technologie aujourd’hui. Que le corps, la connaissance que nous avons de notre corps, est profondément modifiée par ces nouvelles technologies.Voilà l’avenir, problématique, qui sont les lunettes de google, et puis j’ai pas eu le temps de mettre la diapo sur Occulus, mais vous savez que les jeux vidéos vont être remplacés par des lunettes immertives que vous allez avoir ici, et qui vont être des interfaces directes et à la fois immertives, puisque l’avantage entre guillemet de la lunette google ou Occlet ou ce que vous voulez, c’est que vous arrivez à faire la différence entre le monde physique et le monde virtuel. Puisque finalement, vous arrivez à faire la différence. Quand vous allez dans Occulus, qui sont des lunettes complètement immertives, vous allez passer à travers le virtuel pour accéder au réel. Et donc, on imagine bien le type de socialisation que ça va nous donner. Voilà. Microsoft ouvre des classes immertives, où les enfants sont complètement immergés, vidéo-projections, capteurs de mouvement, connect, vision-conférence, tablette… Là on sort un numéro de la revue eps, cette nuit, juste après le match, magnifique match, je finissait l’article pour la revue eps, on sort un numéro sur « eps : 0 ».C’est-à-dire les profs d’eps, ils utilisent aujourd’hui les tablettes, ils utilisent les go-pro, pour introduire une nouvelle auto-réflexivité. Le gars fait le geste dans le cours, vous le filmez, et immédiatement, les lèvres voient le geste qu’il a fait. Donc vous immaginez l’auto-réflexivité pédagogique que ça pose.Ça c’est une révolution colossale ; puisque le sujet ne va plus simplement passer par le professeur, par le coatch, par l’entraîneur pour avoir une vision en troisième personne, il va être auto-confronté. Est-ce qu’il aura les moyens d’analyser le retournement, ce qu’il voit ? Vous voyez, ça pose des problèmes didactiques assez considérables.Je termine juste par ce lamentable acteur qui n’aura jamais l’Oscar, parce que Hollywood dit est-ce qu’un acteur qui prête son corps pour faire de l’image virtuelle, est-ce que c’est un véritable acteur ? Et donc, ils sont en train de se poser la question de savoir, est-ce qu’il ne faut pas créer une catégorie pour des acteurs virtuels qui sont numérisés ? C’est un vrai problème : est-ce qu’être un acteur, c’est quelque chose de physique, ou est-ce que le fait de mettre des capteurs sur son corps vivant qui exprime lui-même des émotions, c’est de l’art ?